Bal tragique à Calais Amour, gloire et patrie
sur les planches
de la Comédie-Française

Un projet réalisé dans le cadre d'un atelier-laboratoire réunissant les étudiants
de l'école W, des universités de Harvard, Paris Nanterre, et Paris 8

Le Siège de Calais est une pièce patriotique de Pierre-Laurent de Belloy, représentée en 1765, juste après que la France a dû céder une partie de son empire colonial à l’Angleterre en application du traité de Paris (1763), qui met fin à la Guerre de Sept Ans.

De Belloy place son intrigue au XIVème siècle et raconte une autre défaite de la France face à l’Angleterre, pendant les premières années de la Guerre de Cent Ans. Mais le dramaturge renverse le rapport de force apparent en mettant en avant la supériorité morale de la France sur son adversaire : dans la pièce, elle finit par dominer son vainqueur par l’intensité de son amour pour la patrie et pour son roi.

Ici, la page du registre des recettes de la Comédie-Française le soir du 12 mars 1765, où on donne le Siège de Calais gratis

Suite au remarquable succès de la première représentation à la Comédie-Française, le 13 février 1765, Louis XV demande que la pièce soit jouée gratuitement devant le peuple dans le même théâtre le 12 mars, et invite la troupe à se déplacer à Versailles pour se produire devant sa Cour et lui, un honneur exceptionnel. Le dramaturge reçoit alors du roi la médaille dramatique, une distinction dont il sera le premier et le seul bénéficiaire.

Mais les éloges nombreux que suscite la pièce n’empêchent pas quelques voix discordantes de s’élever pour dénoncer les faiblesses dramaturgiques ou les dangers idéologiques de la tragédie.

Un blockbuster au XVIIIème siècle

Le Siège de Calais :
le succès quantifié

La pièce Le Siège de Calais a connu un succès fulgurant dès sa création en 1765. Les recettes de la Comédie-Française (matérialisées par le graphique ci-dessous) illustrent très bien ce phénomène.

En revanche, la comparaison avec un autre grand succès, plus ancien, l’Andromaque de Racine, fait apparaître le caractère éphémère de la gloire du Siège de Calais. Alors qu’on ne représente plus du tout le blockbuster de Belloy, Andromaque fait toujours partie des pièces les plus jouées à la Comédie-Française.

Recettes de la Comédie Française

“Le mardi 12 mars, on a représenté la tragédie du Siège de Calais, gratis, pour le peuple. Mesdames les poissardes de la Halle ont occupé les premières loges. Messieurs les charbonniers sont arrivés tambour battant et ont été reçus avec tous les honneurs dus à leur rang. Dans les entr’actes, Mlle Clairon a donné à boire à cette illustre compagnie, qui a applaudi tous les acteurs et toutes les tirades de la tragédie. On a crié, à la fin, “Vive le roi et monsieur de Belloy !” et l’auteur a été obligé de se montrer. [...] Tout ce qui se passe au sujet de cette tragédie a un peu l’air d’un rêve.”

Correspondance littéraire, philosophique et critique de Grimm et Diderot, année 1764-1765

Une diffusion
à l'échelle européenne

Le Siège de Calais a vite été traduit en anglais et représenté sur la scène londonienne dès mars 1765. Tobias Smollett, critique, poète et romancier anglais, bon connaisseur de la littérature française, publia alors une sévère critique de la pièce dans The Critical review. Il reproche à de Belloy sa xénophobie, mais apprécie le patriotisme de certaines tirades.

Carte des représentations

Le Siège de Calais a beaucoup fait parler de lui. À Paris, mais aussi en Province et au-delà des frontières, de Rome à Copenhague, en passant par Berlin et Londres, de nombreuses lettres mentionnent cette pièce. On sait par ailleurs que cette pièce fut jouée gratuitement à Saint-Domingue sur ordre du Roi afin d’éveiller le sentiment patriotique jusque dans les territoires éloignés.

Et aujourd'hui ça donnerait quoi ?

D'accord, mais...
ça raconte quoi ?

Les personnages
Personnages historiques
Personnages fictif

Philippe VI de Valois
Roi de France

Édouard III

Aliénor

Eustache de Saint-Pierre

Aurèle

Godefroi de Harcourt

Mauni

De vraies montagnes russes

Honneur/Déshonneur vs Salut/Mort

Inspiré d'une histoire vraie

Chronologie des évènements

L'Histoire avec un grand H

De Belloy écrit Le Siège de Calais après la Guerre de Sept Ans qui voit s’affronter à nouveau Anglais et Français pour la domination des territoires étrangers. La frise ci-dessus replace l'événement historique du siège de Calais au XIVe siècle par rapport à la représentation de la pièce en 1765, et donne les grandes dates utiles pour comprendre les enjeux de la pièce et de l’événement qu’elle a constitué.

Les raisons de la colère

Après la mort de Charles le Bel, arrivée en 1328, la couronne fut dévolue à Philippe de Valois, qui se trouva le plus proche parent de la ligne [sic] masculine du roi. Edouard III, roi d’Angleterre, revendiqua la succession, et prétendit qu’elle ne pouvait lui être disputée. Il était par sa mère, Isabelle de France, petit-fils de Philippe le Bel.

Comme il n’osa choquer ouvertement la Loi Salique, à laquelle il voyait les Français trop attachés, il soutint seulement d’abord que cette loi ne lui pouvait être appliquée ; qu’il était vrai qu’elle excluait les femmes, parce qu’elle ne voulait pas que des femmes commandassent à des hommes : mais il disait qu’elle ne donnait point d’exclusion au plus proche héritier mâle, quoique descendu d’une femme. Qu’il était dans ce cas le plus proche héritier mâle ; et qu’ainsi la couronne ne lui pouvait être légitimement contestée.

Philippe de Valois au contraire soutenait que la Loi Salique, en excluant les femmes, excluait nécessairement leurs descendants, parce qu’il n’est pas possible que le droit de succéder puisse être transmis par une personne qui ne l’a point. […] Alors Edouard voulut contester la Loi Salique et la traiter de supposée. La querelle s’échauffa. Les États du royaume s’assemblèrent, les ambassadeurs du roi d’Angleterre furent entendus, et n’oublièrent rien pour faire valoir sa prétention.

Mais malgré toutes leurs subtilités, la Loi Salique prévalut, et par le consentement unanime de la Nation, le droit de Philippe de Valois fut confirmé. Edouard qui avait acquiescé, réveille sa prétention plusieurs années après, et prend le parti de suppléer à la justice par la force. Il entre en France avec une puissante armée. Il se présente devant Calais, qui refuse de le reconnaître ; et après un long siège, il met cette ville en état d’être emportée d’assaut.

Introduction rédigée par de Belloy pour l’édition complète de ses œuvres

Un épisode guerrier ...

1346. En pleine guerre de Cent Ans, Edouard III d’Angleterre vient de battre à plate couture Philippe VI de Valois lors de la bataille de Crécy, et il en profite pour assiéger Calais en septembre. Le siège va durer 11 mois, pendant lesquels tout se passe plutôt tranquillement du côté anglais : les troupes s’installent près de la ville et attendent tranquillement en organisant un blocus maritime.

En revanche, à l’intérieur des remparts, on a peur d’avoir faim et on décide d’expulser toutes les bouches considérées comme inutiles (comprendre ceux qui n’ont pas de biens ou de provisions) avant d’organiser un rationnement. Comme souvent lors d’un siège, la famine et la misère dominent la vie des habitants de Calais, mais c’est encore pire à partir de juin 1347, au moment où les Français ne peuvent plus percer le blocus et ravitailler la ville.

Après quelques pourparlers, Edouard accepte d’épargner la population de Calais en échange de six bourgeois qui se présenteraient à lui pieds nus, en chemise et la corde au cou. Arrivés face au roi d’Angleterre, ils sont épargnés grâce à l’intervention de sa femme, la reine Philippa. Les Anglais entrent donc dans Calais en août 1347.

En réalité, ce rituel d’humiliation était assez fréquent à l’époque, et les bourgeois (dont faisait partie Eustache de Saint Pierre) savaient très bien qu’ils s’en sortiraient vivants. N’empêche, cet épisode fut transformé par l’historiographie en exemple d’acte de bravoure de la part de héros prêts à se sacrifier pour la nation.

Calais Magazine

... qui laisse une empreinte
sur la ville

Qu’en est-il aujourd’hui du siège de Calais ? Plongez dans la ville à la découverte de ses places, monuments et établissements dédiés à la mémoire de cet événement qui a marqué la ville durant des décennies. De nombreux bâtiments portent le nom de Saint Pierre, qui concentre l’héroïsme des six bourgeois dans la mémoire calaisienne.

Parmi eux, on trouve notamment des établissements scolaires, tels que le Centre scolaire Saint Pierre ou le Lycée professionnel Saint Pierre. Quelques commerces aussi ont joué le jeu en reprenant le nom du héros, comme la boulangerie Saint Pierre. Une rue porte également le nom du plus connu des six bourgeois : rue Eustache de Saint Pierre. Mais de Belloy, le dramaturge qui mit sur la scène ce grand moment de l’histoire de Calais et rendit la ville célèbre dans le monde au xviiie siècle, est lui aussi honoré d’une rue à son nom.

Enfin, l’épisode lui-même est célébré dans le musée des Beaux Arts de la ville. La première salle de sa visite est réservée à Rodin, et présente des études autour de sa sculpture Les bourgeois de Calais. Le Grand Théâtre, qui a abrité en 1765 la fameuse pièce de Belloy, est toujours là. Pour finir, le Parc Saint Pierre, où l’on peut retrouver la célèbre statue des six bourgeois, constitue le coeur de la visite de la ville et révèle l’importance du mythe dans la construction symbolique de son identité aujourd’hui. Sur ce, bonne promenade !

Sauver les meubles :
la défaite transformée en histoire

Calais-idoscope

L’art a beaucoup participé à la mythification des bourgeois de Calais depuis le Moyen-Âge, et surtout pendant la modernité et l’époque contemporaine où des œuvres très nombreuses ont participé à la consolidation d’une légende patriotique.

Des livres pour enfants aux opéras, cette histoire est représentée dans des formes variées, en majorité par des Français (72% des oeuvres), avec les Anglais en deuxième position (12,6%). Les thématiques les plus représentées sont la scène où les bourgeois se rendent face à Edouard III, ex-aequo avec la supplication de Philippa, qui n’est pourtant pas dans la pièce (31,4%).

Calaisidoscope

Le mythe au service du patriotisme

Les intérêts politiques de la France et l'exaltation des valeurs patriotiques françaises sont des enjeux cruciaux du Siège de Calais. Dans le contexte de l’an 1765 où Le Siège de Calais a vu sa première, cependant, on ne saurait parler de “nationalisme”, idéologie politique qui naît au XIXe siècle. Il faudrait plutôt parler d’une adhésion de l’auteur à une certaine forme de patriotisme qui s’oppose au cosmopolitisme des Lumières. Rejetant la conception de l’individu comme « citoyen du monde », de Belloy met en scène et valorise un rapport inviolable entre l’individu et son pays d’origine, la patrie. Certains de ses personnages, à l’instar d’Eustache de Saint-Pierre, sont gouvernés par le zèle patriotique. Au nom de la France, de l’amour pour la patrie, tout sacrifice est justifié :

EUSTACHE de SAINT-PIERRE
Amour de la patrie, ô pure et vive flamme,
Toi, mère des vertus ; toi, l’âme de mon âme,
Rallume dans mon sein tes transports généreux ;
Que mes pleurs paternels soient séchés par tes feux.
C'est mon pays, mon roi, la France qui m'appelle,
Et non le sang d'un fils qui dut mourir pour elle...

Nourrie par l’affectivité qui domine la scène théâtrale de cette époque, la représentation du patriotisme dans la pièce est cependant marquée par une forte ambivalence. De Belloy ne se limite pas à mettre dans la bouche des Calaisiens l’éloge de la France ; les personnages anglais évoquent également l’amour de leur propre patrie. Le dramaturge semble donc glorifier l'amour pour son pays d’origine, quel qu’il soit. Ainsi le général anglais Mauni s’exclame, en louant la miséricorde d’Édouard lors du dénouement de la pièce :

MAUNI
Voilà le noble orgueil d’un cœur vraiment anglais !

Selon de Belloy, ce n’est pas le patriotisme anglais qui est le véritable ennemi du patriotisme français, mais plutôt la pensée cosmopolite des Philosophes, qui dévalue le lien de l’individu à sa patrie d’origine. L’expression théâtrale de cette préoccupation se manifeste surtout dans le personnage de Mauni, qui déclare :

MAUNI
Je hais ces cœurs glacés et morts pour leur pays,
Qui, voyant ses malheurs dans une paix profonde,
S’honorent du grand nom de citoyens du monde,
Feignent dans tout climat d’aimer l’humanité
Pour ne la point servir dans leur propre cité ;
Fils ingrats, vils fardeaux du sein qui les fit naître,
Et dignes du néant par l’oubli de leur être.

50 nuances de mots



Et aujourd'hui on en pense quoi ?

Quatre étudiants de l’université de Harvard (près de Boston) et une étudiante de l’Université Paris VIII à Saint-Denis nous disent ce qui les a intéressés dans cette pièce.

Ils nous font ainsi découvrir les particularités de cette tragédie du XVIIIe siècle et réfléchir sur ses échos avec la société contemporaine.